La radio à Québec
Les stations qui baissent le ton
La Presse
QUÉBEC — Le phénomène est connu : ça parle fort aux micros des radios de Québec. Mais des animateurs y font aussi chaque jour des émissions moins « criardes », et leur style connaît du succès.
En analysant les derniers sondages Numeris, qui mesurent les parts de marché des différentes stations, un premier constat s’impose : les radios d’opinion (communément appelées les radios poubelles) n’écrasent pas leurs rivales. Dans le marché central, ICI Radio-Canada Première est pratiquement à égalité avec Rouge FM en deuxième position des parts d’écoute, derrière le FM93.
« Pour nous, c’est important de faire une radio qui est intelligente sans être intellectuelle, rassembleuse sans être racoleuse, populaire sans être populiste. […] Québec n’est pas un marché compliqué. Tu as la Haute-Ville et la Basse-Ville. Notre mandat est de créer un pont entre les deux », explique Jean-François Rioux, directeur de Radio-Canada Québec.
Dans leur studio situé à quelques mètres de la porte Saint-Jean, près du Vieux-Québec, les animateurs Claude Bernatchez (le matin) et Catherine Lachaussée (au retour) animent chaque jour de semaine des émissions qu’ils veulent « intelligentes, rassembleuses et surtout populaires », disent-ils.
Et ça marche.
À l’automne 2015, l’émission
, animée par Claude Bernatchez, est arrivée deuxième au chapitre des parts d’écoute, enregistrant une augmentation de 2,9 points par rapport à l’automne précédent. L’audimat de Catherine Lachaussée, à la barre de , a suivi une progression similaire ; l’émission termine au troisième rang dans sa case horaire.« Notre radio fait valoir toutes les opinions qui valent la peine d’être entendues. […] Ça prend de la rigueur. On ne va pas mettre n’importe quoi en ondes. Des discours haineux ou racistes, non. Ce n’est pas utile. »
— Catherine Lachaussée
« La première chose [que nous visons], c’est d’avoir une radio distincte et équilibrée qui reflète une ouverture d’esprit et qui se préoccupe de la réalité des citoyens. […] Deuxièmement, nous voulons du monde normal en ondes. On parle à des gens normaux, on va être normal », renchérit son patron, Jean-François Rioux.
Cela ne date pas d’hier : les radios commerciales de Québec font couler beaucoup d’encre. « Elles ont remporté beaucoup de succès par le passé. La formule développée par André Arthur a été reprise et s’est répandue. [Ces stations] renforcent le cynisme à l’égard des dirigeants, des élites culturelles et sociales », explique Colette Brin, directrice du Centre d’études sur les médias du département d’information et de communication de l’Université Laval.
Ces émissions « spectacles » ont-elles atteint un point de saturation ? L’automne dernier, une nouvelle station privée à mi-chemin entre Radio-Canada et les radios commerciales a vu le jour : BLVD FM (ça se lit « Boulevard »), qui a repris la fréquence de CKOI.
La station a pour l’instant une seule émission parlée, le matin. C’est à l’animateur Stéphane Gasse – un ancien de CHOI Radio X – que revient la responsabilité de trouver un ton respectueux de la diversité d’opinions.
« Je ne suis pas le bon Dieu, les gens peuvent penser différemment de moi », plaide-t-il.
Or, Gasse est un conservateur notoire dans la région de Québec. Peut-il vraiment piloter un show équilibré ? « Oui, et j’aurais l’air fou de me trouver soudainement une nouvelle virginité politique, répond le principal intéressé. Est-ce que quelqu’un met en doute l’appartenance politique de Jean Lapierre ? Non. À cet égard, je peux faire la même chose. »
« Je suis d’avis qu’en donnant notre couleur, on permet aux gens de se situer par rapport à nos opinions et aux questions que l’on pose. »
— Stéphane Gasse
L’animateur assure que toutes les opinions trouvent une place à son micro. Amir Khadir, les péquistes, les libéraux et les caquistes y sont invités. Comment BLVD FM se distingue-t-elle des autres stations privées ? Il y a peu de prises de bec à son émission, dit-il.
Radio-Canada, BLVD FM, les radios communautaires et les stations musicales : il existe une diversité de genres sur le marché de la radio de Québec. Selon les plus récents sondages Numeris, ces stations récoltent ensemble près de 55 % des parts de marché.
« Les échos que l’on a de Québec sont essentiellement ce qui se relaie sur [les radios d’opinion]. […] Quand on dit aux gens qu’on est [souvent] numéro 1 dans notre case horaire, ils sont étonnés », explique Claude Bernatchez, d’ICI Radio-Canada Première.
« C’est comme si on concevait la ville de Québec en se limitant au Vieux-Québec et au Château Frontenac. C’est là, ça existe, bien des touristes y vont, mais la vie culturelle est bien plus large et éclatée que ça », poursuit-il.
En route vers la gare routière, le chauffeur de taxi qui nous conduisait écoutait une émission du retour dans laquelle l’animateur mettait en doute le réchauffement climatique.
« Qu’est-ce qu’on ne peut pas entendre parfois ! », s’est-il exclamé, le visage contrarié.
Ce qu’on dit est donc vrai : ça parle fort dans les radios de Québec. Aux différents micros, mais aussi dans les autos. Et il ne se dit pas nécessairement la même chose.